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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

de fleurs endormies ; les roses en boutons serraient leurs feuilles, ne livraient encore que le soupir vague de leur virginité.

— Je t’aime, je t’aime, répétait Serge à voix basse.

Et Albine était une grande rose, une des roses pâles, ouvertes du matin. Elle avait les pieds blancs, les genoux et les bras roses, la nuque blonde, la gorge adorablement veinée, pâle, d’une moiteur exquise. Elle sentait bon, elle tendait des lèvres qui offraient dans une coupe de corail leur parfum faible encore. Et Serge la respirait, la mettait à sa poitrine.

— Oh ! dit-elle en riant, tu ne me fais pas mal, tu peux me prendre tout entière.

Serge resta ravi de son rire, pareil à la phrase cadencée d’un oiseau.

— C’est toi qui as ce chant, dit-il ; jamais je n’en ai entendu d’aussi doux… Tu es ma joie.

Et elle riait, plus sonore, avec des gammes perlées de petites notes de flûte, très-aiguës, qui se noyaient dans un ralentissement de sons graves. C’était un rire sans fin, un roucoulement de gorge, une musique sonnante, triomphante, célébrant la volupté du réveil. Tout riait, dans ce rire de femme naissant à la beauté et à l’amour, les roses, le bois odorant, le Paradou entier. Jusque-là, il avait manqué un charme au grand jardin, une voix de grâce, qui fût la gaieté vivante des arbres, des eaux, du soleil. Maintenant, le grand jardin était doué de ce charme du rire.

— Quel âge as-tu ? demanda Albine, après avoir éteint son chant sur une note filée et mourante.

— Bientôt vingt-six ans, répondit Serge.

Elle s’étonna. Comment ! il avait vingt-six ans ! Lui-même était tout surpris d’avoir répondu cela, si aisément. Il lui semblait qu’il n’avait pas un jour, pas une heure.

— Et toi, quel âge as-tu ? demanda-t-il à son tour.