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LES ROUGON-MACQUART.

— Moi, j’ai seize ans.

Et elle repartit, toute vibrante, répétant son âge, chantant son âge. Elle riait d’avoir seize ans, d’un rire très-fin, qui coulait comme un filet d’eau, dans un rythme tremblé de la voix. Serge la regardait de tout près, émerveillé de cette vie du rire, dont la face de l’enfant resplendissait. Il la reconnaissait à peine, les joues trouées de fossettes, les lèvres arquées, montrant le rose humide de la bouche, les yeux pareils à des bouts de ciel bleu s’allumant d’un lever d’astre. Quand elle se renversait, elle le chauffait de son menton gonflé de rire, qu’elle lui appuyait sur l’épaule.

Il tendit la main, il chercha derrière sa nuque, d’un geste machinal.

— Que veux-tu ? demanda-t-elle.

Et, se souvenant, elle cria :

— Tu veux mon peigne ! tu veux mon peigne !

Alors, elle lui donna le peigne, elle laissa tomber les nattes lourdes de son chignon. Ce fut comme une étoffe d’or dépliée. Ses cheveux la vêtirent jusqu’aux reins. Des mèches qui lui coulèrent sur la poitrine achevèrent de l’habiller royalement. Serge, à ce flamboiement brusque, avait poussé un léger cri. Il baisait chaque mèche, il se brûlait les lèvres à ce rayonnement de soleil couchant.

Mais Albine, à présent, se soulageait de son long silence. Elle causait, questionnait, ne s’arrêtait plus.

— Ah ! que tu m’as fait souffrir ! Je n’étais plus rien pour toi, je passais mes journées, inutile, impuissante, me désespérant comme une propre à rien… Et pourtant, les premiers jours, je t’avais soulagé. Tu me voyais, tu me parlais… Tu ne te rappelles pas, lorsque tu étais couché et que tu t’endormais contre mon épaule, en murmurant que je te faisais du bien ?

— Non, dit Serge, non, je ne me rappelle pas… Je ne