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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/187

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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

lection d’œillets splendides : des œillets blancs débordaient de l’auge moussue ; des œillets panachés plantaient dans les fentes des pierres le bariolage de leurs ruches de mousseline découpée ; tandis que, au fond de la gueule du lion qui jadis crachait l’eau, un grand œillet rouge fleurissait, en jets si vigoureux, que le vieux lion mutilé semblait, à cette heure, cracher des éclaboussures de sang. Et, à côté, la pièce d’eau principale, un ancien lac où des cygnes avaient nagé, était devenue un bois de lilas, à l’ombre duquel des quarantaines, des verveines, des belles de jour, protégeaient leur teint délicat, dormant à demi, toutes moites de parfums.

— Et nous n’avons pas traversé la moitié du parterre ! dit Albine orgueilleusement. Là-bas sont les grandes fleurs, des champs où je disparais tout entière, comme une perdrix dans un champ de blé.

Ils y allèrent. Ils descendirent un large escalier dont les urnes renversées flambaient encore des hautes flammes violettes des iris. Le long des marches coulait un ruissellement de giroflées pareil à une nappe d’or liquide. Des chardons, aux deux bords, plantaient des candélabres de bronze vert, grêles, hérissés, recourbés en becs d’oiseaux fantastiques, d’un art étrange, d’une élégance de brûle-parfum chinois. Des sedum, entre les balustres brisés, laissaient pendre des tresses blondes, des chevelures verdâtres de fleuve toutes tachées de moisissures. Puis, au bas, un second parterre s’étendait, coupé de buis puissants comme des chênes, d’anciens buis corrects, autrefois taillés en boules, en pyramides, en tours octogonales, aujourd’hui débraillés magnifiquement, avec de grands haillons de verdure sombre, dont les trous montraient des bouts de ciel bleu.

Et Albine mena Serge, à droite, dans un champ qui était comme le cimetière du parterre. Des scabieuses y mettaient