Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
LES ROUGON-MACQUART.

ni dans les roses, ni dans les lis, ni sur le tapis des violettes.

— Peut-être est-ce ce coin de fleurs tristes, où tu m’as montré un enfant debout, le bras cassé ?

— Non, non.

— Peut-être est-ce au fond de la grotte, près de cette eau claire, où s’est noyée cette grande femme de marbre, qui n’a plus de visage ?

— Non, non.

Albine resta un instant songeuse. Puis, elle continua, comme se parlant à elle-même :

— Dès les premiers jours, je me suis mise en quête. Si j’ai passé des journées dans le Paradou, si j’ai fouillé les moindres coins de verdure, c’était uniquement pour m’asseoir une heure au milieu de la clairière. Que de matinées perdues vainement à me glisser sous les ronces, à visiter les coins les plus reculés du parc !… Oh ! je l’aurais vite reconnue, cette retraite enchantée, avec son arbre immense qui doit la couvrir d’un toit de feuilles, avec son herbe fine comme une peluche de soie, avec ses murs de buissons verts que les oiseaux eux-mêmes ne peuvent percer !

Elle jeta l’un de ses bras au cou de Serge, élevant la voix, le suppliant :

— Dis ? nous sommes deux maintenant, nous chercherons, nous trouverons… Toi qui es fort, tu écarteras les grosses branches devant moi, pour que j’aille jusqu’au fond des fourrés. Tu me porteras, lorsque je serai lasse ; tu m’aideras à sauter les ruisseaux, tu monteras aux arbres, si nous venons à perdre notre route… Et quelle joie, lorsque nous pourrons nous asseoir côte à côte, sous le toit de feuilles, au centre de la clairière ! On m’a raconté qu’on vivait là dans une minute toute une vie… Dis ? mon bon Serge, dès demain, nous partirons, nous battrons le parc broussailles à broussailles, jusqu’à ce que nous ayons contenté notre désir.