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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

un trouble de sa peau limpide, qui témoignait de sa surprise à sentir ce bout de voile traîner sur elle. Entre les trois saules, un coin de pré descendait par une pente insensible, mettant des coquelicots jusque dans les fentes des vieux troncs crevés. On eût dit une tente de verdure, plantée sur trois piquets, au bord de l’eau, dans le désert roulant des herbes.

— C’est ici, c’est ici ! cria Albine, en se glissant sous les saules.

Serge s’assit à côté d’elle, les pieds presque dans l’eau. Il regardait autour de lui, il murmurait :

— Tu connais tout, tu sais les meilleurs endroits… On dirait une île de dix pieds carrés, rencontrée en pleine mer.

— Oui, nous sommes chez nous, reprit-elle, si joyeuse, qu’elle tapa les herbes de son poing. C’est une maison à nous… Nous allons tout faire.

Puis, comme prise d’une idée triomphante, elle se jeta contre lui, lui dit dans la figure, avec une explosion de joie :

— Veux-tu être mon mari ? Je serai ta femme.

Il fut enchanté de l’invention ; il répondit qu’il voulait bien être le mari, riant plus haut qu’elle. Alors, elle, tout d’un coup, devint sérieuse ; elle affecta un air pressé de ménagère.

— Tu sais, dit-elle, c’est moi qui commande… Nous déjeunerons quand tu auras mis la table.

Et elle lui donna des ordres impérieux. Il dut serrer tout ce qu’elle tira de ses poches dans le creux d’un saule, qu’elle appelait « l’armoire. » Les chiffons étaient le linge ; le peigne représentait le nécessaire de toilette ; les aiguilles et la ficelle devaient servir à raccommoder les vêtements des explorateurs. Quant aux provisions de bouche, elles consistaient dans la petite bouteille de vin et les quelques croû-