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LES ROUGON-MACQUART.

tes de la veille. À la vérité, il y avait encore les allumettes pour faire cuire le poisson qu’on devait prendre.

Comme il achevait de mettre la table, la bouteille au milieu, les trois croûtes alentour, il hasarda l’observation que le régal serait mince. Mais elle haussait les épaules, en femme supérieure. Elle se mit les pieds à l’eau, disant sévèrement :

— C’est moi qui pêche. Toi, tu me regarderas.

Pendant une demi-heure, elle se donna une peine infinie pour attraper des petits poissons avec les mains. Elle avait relevé ses jupes, nouées d’un bout de ficelle. Elle s’avançait prudemment, prenant des précautions infinies afin de ne pas remuer l’eau ; puis, lorsqu’elle était tout près du petit poisson, tapi entre deux pierres, elle allongeait son bras nu, faisait un barbotage terrible, ne tenait qu’une poignée de graviers. Serge alors riait aux éclats, ce qui la ramenait à la rive, courroucée, lui criant qu’il n’avait pas le droit de rire.

— Mais, finit-il par dire, avec quoi le feras-tu cuire, ton poisson ? Il n’y a pas de bois.

Cela acheva de la décourager. D’ailleurs, ce poisson-là ne lui paraissait pas fameux. Elle sortit de l’eau, sans songer à remettre ses bas. Elle courait dans l’herbe, les jambes nues, pour se sécher. Et elle retrouvait son rire, parce qu’il y avait des herbes qui la chatouillaient sous la plante des pieds.

— Oh ! de la pimprenelle ! dit-elle brusquement, en se jetant à genoux. C’est ça qui est bon ! Nous allons nous régaler.

Serge dut mettre sur la table un tas de pimprenelle. Ils mangèrent de la pimprenelle avec leur pain. Albine affirmait que c’était meilleur que de la noisette. Elle servait en maîtresse de maison, coupait le pain de Serge, auquel elle ne voulut jamais confier son couteau.