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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

sans un filet d’eau, mourant de soif, s’envolant par grandes poussières aux moindres haleines. Et, tout au bout, par un coin écroulé des collines de l’horizon, on apercevait un lointain de verdures humides, une échappée de la vallée voisine, que fécondait la Viorne, une rivière descendue des gorges de la Seille.

L’abbé Mouret, ne trouvant pas ce qu’il cherchait au loin, les yeux éblouis, abaissa les regards sur le village, dont les quelques maisons s’en allaient à la débandade, en bas de l’église. Misérables maisons, faites de pierres sèches et de planches maçonnées, jetées le long d’un étroit chemin, sans rues indiquées. Elles étaient au nombre d’une trentaine, les unes tassées dans le fumier, noires de misère, les autres plus vastes, plus gaies, avec leurs tuiles roses. Des bouts de jardin, conquis sur le roc, étalaient des carrés de légumes, coupés de haies vives. À cette heure, les Artaud étaient vides ; pas une femme aux fenêtres, pas un enfant vautré dans la poussière ; seules, des bandes de poules allaient et venaient, fouillant la paille, quêtant jusqu’au seuil des maisons, dont les portes laissées ouvertes bâillaient complaisamment au soleil. Un grand chien noir, assis sur son derrière, à l’entrée du village, semblait le garder.

— Voriau ! Voriau ! appela le prêtre.

Mais le chien ne bougea pas. Une paresse engourdissait peu à peu l’abbé Mouret. Le soleil montant le baignait d’une telle tiédeur, qu’il se laissait aller contre la porte de l’église, envahi par une paix heureuse. Il songeait à ce village des Artaud, poussé là, dans les pierres, ainsi qu’une des végétations noueuses qui l’entouraient. Tous les habitants étaient parents, tous portaient le même nom, si bien qu’ils prenaient des surnoms dès le berceau, pour se distinguer entre eux. Un ancêtre, un Artaud, était venu, qui s’était fixé au milieu de cette lande, comme un paria ; puis, sa famille avait grandi, avec la vitalité farouche des