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LES ROUGON-MACQUART.

herbes qui sucent la vie des rochers ; sa famille avait fini par être toute une tribu, toute une commune, dont les cousinages se perdaient, remontaient à des siècles. C’était, au fond de cette ceinture désolée de collines, un peuple à part, une race née du sol, une humanité de cent cinquante têtes qui semblait recommencer les temps.

Lui, gardait toute l’ombre morte du séminaire. Il voulait rester dans la clarté effacée de sa cellule, dans le silence des corridors, dans le recueillement de cet ancien couvent de Plassans, où pas un souffle ne vivait. Pendant des années, il n’avait pas connu le soleil. Il l’ignorait même encore, les yeux fermés, fixés sur l’âme, n’ayant que du mépris pour la nature damnée. Longtemps, aux heures de recueillement, lorsque la méditation le prosternait, il avait rêvé un désert d’ermite, quelque trou dans une montagne, où rien de la vie, ni être, ni plante, ni eau, ne le viendrait distraire de la contemplation de Dieu. C’était un élan d’amour pur, une horreur de la sensation physique. Là, mourant à lui-même, le dos tourné à la lumière, il aurait attendu de n’être plus, de se perdre dans la souveraine blancheur des âmes. Le ciel lui apparaissait tout blanc, d’un blanc de lumière, comme s’il neigeait des lis, comme si toutes les puretés, toutes les innocences, toutes les chastetés flambaient. Mais son confesseur le grondait, quand il lui racontait ses désirs de solitude, ses besoins de candeur divine ; il le rappelait aux luttes de l’église, aux nécessités du sacerdoce. Plus tard, après son ordination, le jeune prêtre était venu aux Artaud, sur sa propre demande, avec l’espoir de réaliser son rêve d’anéantissement humain. Au milieu de cette misère, sur ce sol stérile, il pourrait se boucher les oreilles aux bruits du monde, il vivrait dans l’oubli, dans le sommeil des saints. Et, depuis plusieurs mois, en effet, il demeurait souriant ; à peine un frisson du village le troublait-il de loin en loin ; à peine une