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LES ROUGON-MACQUART.

s’expliquaient pas. Il y avait un danger au détour de quelque sentier, qui les guettait, qui les prendrait à la nuque pour les renverser par terre et leur faire du mal. Jamais ils n’ouvraient la bouche de ces choses ; mais, à certains regards poltrons, ils se confessaient cette angoisse, qui les rendait singuliers, comme ennemis. Cependant, un matin, Albine hasarda, après une longue hésitation :

— Tu as tort de rester toujours enfermé. Tu retomberas malade.

Serge eut un rire gêné.

— Bah ! murmura-t-il, nous sommes allés partout, nous connaissons tout le jardin.

Elle dit non de la tête ; puis, elle répéta très-bas :

— Non, non… Nous ne connaissons pas les rochers, nous ne sommes pas allés aux sources. C’est là que je me chauffais, l’hiver. Il y a des coins où les pierres elles-mêmes semblent vivre.

Le lendemain, sans avoir ajouté un mot, ils sortirent. Ils montèrent à gauche, derrière la grotte où dormait la femme de marbre. Comme ils posaient le pied sur les premières pierres, Serge dit :

— Ça nous avait laissé un souci. Il faut voir partout. Peut-être serons-nous tranquilles après.

La journée était étouffante, d’une chaleur lourde d’orage. Ils n’avaient pas osé se prendre à la taille. Ils marchaient l’un derrière l’autre, tout brûlants de soleil. Elle profita d’un élargissement du sentier pour le laisser passer devant elle ; car elle était inquiétée par son haleine, elle souffrait de le sentir derrière son dos, si près de ses jupes. Autour d’eux, les rochers s’élevaient par larges assises ; des rampes douces étageaient des champs d’immenses dalles, hérissés d’une rude végétation. Ils rencontrèrent d’abord des genêts d’or, des nappes de thym, des nappes de sauge, des nappes de lavande, toutes les plantes balsamiques, et les genévriers âpres,