Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
237
LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

raient voulu redescendre, s’éviter le malaise d’une promenade plus longue. Et, malgré eux, comme cédant à une force qui les poussait, ils tournèrent un rocher, ils arrivèrent sur un plateau, où les attendait de nouveau l’ivresse du grand soleil. Ce n’était plus l’heureuse langueur des plantes aromatiques, le musc du thym, l’encens de la lavande. Ils écrasaient des herbes puantes : l’absinthe, d’une griserie amère ; la rue, d’une odeur de chair fétide ; la valériane, brûlante, toute trempée de sa sueur aphrodisiaque. Des mandragores, des ciguës, des hellébores, des belladones, montait un vertige à leurs tempes, un assoupissement, qui les faisait chanceler aux bras l’un de l’autre, le cœur sur les lèvres.

— Veux-tu que je te prenne ? demanda Serge à Albine, en la sentant s’abandonner contre lui.

Il la serrait déjà entre ses deux bras. Mais elle se dégagea, respirant fortement.

— Non, tu m’étouffes, dit-elle. Laisse. Je ne sais ce que j’ai. La terre remue sous mes pieds… Vois-tu, c’est là que j’ai mal.

Elle lui prit une main qu’elle posa sur sa poitrine. Alors, lui, devint tout blanc. Il était plus défaillant qu’elle. Et tous deux avaient des larmes au bord des yeux, de se voir ainsi, sans trouver de remède à leur grand malheur. Allaient-ils donc mourir là, de ce mal inconnu ?

— Viens à l’ombre, viens t’asseoir, dit Serge. Ce sont ces plantes qui nous tuent, avec leurs odeurs.

Il la conduisit par le bout des doigts, car elle tressaillait, lorsqu’il lui touchait seulement le poignet. Le bois d’arbres verts où elle s’assit, était fait d’un beau cèdre, qui élargissait à plus de dix mètres les toits plats de ses branches. Puis, en arrière, poussaient les essences bizarres des conifères ; les cupressus au feuillage mou et plat comme une épaisse guipure ; les abiès, droits et graves, pareils à d’anciennes