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LES ROUGON-MACQUART.

pierres sacrées, noires encore du sang des victimes ; les taxus, dont les robes sombres se frangeaient d’argent ; toutes les plantes à feuillage persistant, d’une végétation trapue, à la verdure foncée de cuir verni, éclaboussée de jaune et de rouge, si puissante, que le soleil glissait sur elle sans l’assouplir. Un araucaria surtout était étrange, avec ses grands bras réguliers, qui ressemblaient à une architecture de reptiles, entés les uns sur les autres, hérissant leurs feuilles imbriquées comme des écailles de serpents en colère. Là, sous ces ombrages lourds, la chaleur avait un sommeil voluptueux. L’air dormait, sans un souffle, dans une moiteur d’alcôve. Un parfum d’amour oriental, le parfum des lèvres peintes de la Sunamite, s’exhalait des bois odorants.

— Tu ne t’asseois pas ? dit Albine.

Et elle s’écartait un peu, pour lui faire place. Mais lui, recula, se tint debout. Puis, comme elle l’invitait de nouveau, il se laissa glisser sur les genoux, à quelques pas. Il murmurait :

— Non, j’ai plus de fièvre que toi, je te brûlerais… Écoute, si je n’avais pas peur de te faire du mal, je te prendrais dans mes bras, si fort, si fort, que nous ne sentirions plus nos souffrances.

Il se traîna sur les genoux, il s’approcha un peu.

— Oh ! t’avoir dans mes bras, t’avoir dans ma chair… Je ne pense qu’à cela. La nuit, je m’éveille, serrant le vide, serrant ton rêve. Je voudrais ne te prendre d’abord que par le bout du petit doigt ; puis, je t’aurais tout entière, lentement, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de toi, jusqu’à ce que tu sois devenue mienne, de tes pieds au dernier de tes cils. Je te garderais toujours. Ce doit être un bien délicieux, de posséder ainsi ce qu’on aime. Mon cœur fondrait dans ton cœur.

Il s’approcha encore. Il aurait touché le bord de ses jupes, s’il avait allongé les mains.