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LES ROUGON-MACQUART.

traînèrent de nouveau la table le long des murs, cherchant à s’occuper.

— Oh ! non, murmura Albine, elle est bien plus grosse que moi. Puis, on ne peut pas savoir : elle est si drôlement couchée, la tête en bas !

Ils se turent. De la peinture déteinte, mangée par le temps, se levait une scène qu’ils n’avaient point encore aperçue. C’était une résurrection de chairs tendres sortant du gris de la muraille, une image ravivée, dont les détails semblaient reparaître un à un, dans la chaleur de l’été. La femme couchée se renversait sous l’étreinte d’un faune aux pieds de bouc. On distinguait nettement les bras rejetés, le torse abandonné, la taille roulante de cette grande fille nue, surprise sur des gerbes de fleurs, fauchées par de petits Amours, qui, la faucille en main, ajoutaient sans cesse à la couche de nouvelles poignées de roses. On distinguait aussi l’effort du faune, sa poitrine soufflante qui s’abattait. Puis, à l’autre bout, il n’y avait plus que les deux pieds de la femme, lancés en l’air, s’envolant comme deux colombes roses.

— Non, répéta Albine, elle ne me ressemble pas… Elle est laide.

Serge ne dit rien. Il regardait la femme, il regardait Albine, ayant l’air de comparer. Celle-ci retroussa une de ses manches jusqu’à l’épaule, pour montrer qu’elle avait le bras plus blanc. Et ils se turent une seconde fois, revenant à la peinture, ayant sur les lèvres des questions qu’ils ne voulaient pas se faire. Les larges yeux bleus d’Albine se posèrent un instant sur les yeux gris de Serge, où luisait une flamme.

— Tu as donc repeint toute la chambre ? s’écria-t-elle, en sautant de la table. On dirait que ce monde-là se réveille.

Ils se mirent à rire, mais d’un rire inquiet, avec des