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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

coups d’œil jetés aux Amours qui polissonnaient et aux grandes nudités étalant des corps presque entiers. Ils voulurent tout revoir, par bravade, s’étonnant à chaque panneau, s’appelant pour se montrer des membres de personnages qui n’étaient certainement pas là le mois passé. C’étaient des reins souples pliés sur des bras nerveux, des jambes se dessinant jusqu’aux hanches, des femmes reparues dans des embrassades d’hommes, dont les mains élargies ne serraient auparavant que le vide. Les Amours de plâtre de l’alcôve semblaient eux-mêmes se culbuter avec une effronterie plus libre. Et Albine ne parlait plus d’enfants qui jouaient, Serge ne hasardait plus des hypothèses à voix haute. Ils devenaient graves, ils s’attardaient devant les scènes, souhaitant que la peinture retrouvât d’un coup tout son éclat, alanguis et troublés davantage par les derniers voiles qui cachaient les crudités des tableaux. Ces revenants de la volupté achevaient de leur apprendre la science d’aimer.

Mais Albine s’effraya. Elle échappa à Serge dont elle sentait le souffle plus chaud sur son cou. Elle vint s’asseoir à un bout du canapé, en murmurant :

— Ils me font peur, à la fin. Les hommes ressemblent à des bandits, les femmes ont des yeux mourants de personnes qu’on tue.

Serge se mit à quelques pas d’elle, dans un fauteuil, parlant d’autre chose. Ils étaient très-las tous les deux, comme s’ils avaient fait une longue course. Et ils éprouvaient un malaise, à croire que les peintures les regardaient. Les grappes d’Amours roulaient hors des lambris, avec un tapage de chairs amoureuses, une débandade de gamins éhontés leur jetant leurs fleurs, les menaçants de les lier ensemble, à l’aide des faveurs bleues dont ils enchaînaient étroitement deux amants, dans un coin du plafond. Les couples s’animaient, déroulaient l’histoire de