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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

« Bonjour, mon cher seigneur… » Mais ce n’était pas tout, n’est-ce pas ? Il lui baisait les mains, quand ils avaient refermé la porte… Les voilà, mes mains. Elles sont à toi.

Alors, ils tentèrent de recommencer leurs anciens jeux, pour oublier le Paradou dont ils entendaient le grand rire croissant, pour ne plus voir les peintures, pour ne plus céder aux langueurs de l’alcôve. Albine faisait des mines, se renversait, riait de la figure sotte que Serge avait à ses pieds.

— Gros bêta, prends-moi la taille, dis-moi des choses aimables, puisque tu es censé mon amoureux… Tu ne sais donc pas m’aimer ?

Mais dès qu’il la tenait, qu’il la soulevait brutalement, elle se débattait, elle s’échappait, toute fâchée.

— Non, laisse-moi, je ne veux pas !… On meurt dans cette chambre.

À partir de ce jour, ils eurent peur de la chambre, de même qu’ils avaient peur du jardin. Leur dernier asile devenait un lieu redoutable, où ils ne pouvaient se trouver ensemble, sans se surveiller d’un regard furtif. Albine n’y entrait presque plus ; elle restait sur le seuil, la porte grande ouverte derrière elle, comme pour se ménager une fuite prompte. Serge y vivait seul, dans une anxiété douloureuse, étouffant davantage, couchant sur le canapé, tâchant d’échapper aux soupirs du parc, aux odeurs des vieux meubles. La nuit, les nudités des peintures lui donnaient des rêves fous, dont il ne gardait au réveil qu’une inquiétude nerveuse. Il se crut malade de nouveau ; sa santé avait un dernier besoin pour se rétablir complétement, le besoin d’une plénitude suprême, d’une satisfaction entière qu’il ne savait où aller chercher. Alors, il passa ses journées, silencieux, les yeux meurtris, ne s’éveillant d’un léger tressaillement qu’aux heures où Albine venait le voir. Ils demeuraient en face l’un de l’autre, à se regarder gra-