Aller au contenu

Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
250
LES ROUGON-MACQUART.

cette grande fille nue aimée d’un faune, qu’ils pouvaient reconstruire depuis le guet du faune derrière un buisson de roses, jusqu’à l’abandon de la grande fille au milieu des roses effeuillées. Est-ce qu’ils allaient tous descendre ? N’était-ce pas eux qui soupiraient déjà, et dont l’haleine emplissait la chambre de l’odeur d’une volupté ancienne ?

— On étouffe, n’est-ce pas ? dit Albine. J’ai eu beau donner de l’air, la chambre a toujours senti le vieux.

— L’autre nuit, raconta Serge, j’ai été réveillé par un parfum si pénétrant, que je t’ai appelée, croyant que tu venais d’entrer dans la chambre. On aurait dit la tiédeur de tes cheveux, lorsque tu piques dedans des brins d’héliotrope… Les premiers jours, cela arrivait de loin, comme un souvenir d’odeur. Mais à présent, je ne puis plus dormir, l’odeur grandit jusqu’à me suffoquer. Le soir surtout, l’alcôve est si chaude que je finirai par coucher sur le canapé.

Albine mit un doigt à ses lèvres, murmurant :

— C’est la morte, tu sais, celle qui a vécu ici.

Ils allèrent flairer l’alcôve, plaisantant, très-sérieux au fond. Assurément, jamais l’alcôve n’avait exhalé une senteur si troublante. Les murs semblaient encore frissonnants d’un frôlement de jupe musquée. Le parquet avait gardé la douceur embaumée de deux pantoufles de satin tombées devant le lit. Et, sur le lit lui-même, contre le bois du chevet, Serge prétendait retrouver l’empreinte d’une petite main, qui avait laissé là son parfum persistant de violette. De tous les meubles, à cette heure, se levait le fantôme odorant de la morte.

— Tiens ! voilà le fauteuil où elle devait s’asseoir, cria Albine. On sent ses épaules, dans le dossier.

Et elle s’assit elle-même, elle dit à Serge de se mettre à genoux pour lui baiser la main.

— Tu te souviens, le jour où je t’ai reçu, en te disant :