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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Prends-moi toute, prends ma vie.

Une plénitude leur mettait de la vie jusqu’aux lèvres. Serge venait, dans la possession d’Albine, de trouver enfin son sexe d’homme, l’énergie de ses muscles, le courage de son cœur, la santé dernière qui avait jusque là manqué à sa longue adolescence. Maintenant, il se sentait complet. Il avait des sens plus nets, une intelligence plus large. C’était comme si, tout d’un coup, il se fût réveillé lion, avec la royauté de la plaine, la vue du ciel libre. Quand il se leva, ses pieds se posèrent carrément sur le sol, son corps se développa, orgueilleux de ses membres. Il prit les mains d’Albine, qu’il mit debout à son tour. Elle chancelait un peu, et il dut la soutenir.

— N’aie pas peur, dit-il. Tu es celle que j’aime.

Maintenant, elle était la servante. Elle renversait la tête sur son épaule, le regardant d’un air de reconnaissance inquiète. Ne lui en voudrait-il jamais de ce qu’elle l’avait amené là ? Ne lui reprocherait-il pas un jour cette heure d’adoration dans laquelle il s’était dit son esclave ?

— Tu n’es point fâché ? demanda-t-elle humblement.

Il sourit, renouant ses cheveux, la flattant du bout des doigts comme une enfant. Elle continua :

— Oh ! tu verras, je me ferai toute petite. Tu ne sauras même pas que je suis là. Mais tu me laisseras ainsi, n’est-ce pas ? dans tes bras, car j’ai besoin que tu m’apprennes à marcher… Il me semble que je ne sais plus marcher, à cette heure.

Puis elle devint très-grave.

— Il faut m’aimer toujours, et je serai obéissante, je travaillerai à tes joies, je t’abandonnerai tout, jusqu’à mes plus secrètes volontés.

Serge avait comme un redoublement de puissance, à la voir si soumise et si caressante. Il lui demanda :

— Pourquoi trembles-tu ? Qu’ai-je donc à te reprocher ?