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LES ROUGON-MACQUART.

Elle ne répondit pas. Elle regarda presque tristement l’arbre, les verdures, l’herbe qu’ils avaient foulée.

— Grande enfant ! reprit-il avec un rire. As-tu donc peur que je ne te garde rancune du don que tu m’as fait ? Va, ce ne peut être une faute. Nous nous sommes aimés comme nous devions nous aimer… Je voudrais baiser les empreintes que tes pas ont laissées, lorsque tu m’as amené ici, de même que je baise tes lèvres qui m’ont tenté, de même que je baise tes seins qui viennent d’achever la cure, commencée, tu te souviens ? par tes petites mains fraîches.

Elle hocha la tête. Et, détournant les yeux, évitant de voir l’arbre davantage :

— Emmène-moi, dit-elle à voix basse.

Serge l’emmena à pas lents. Lui, largement, regarda l’arbre une dernière fois. Il le remerciait. L’ombre devenait plus noire dans la clairière ; un frisson de femme surprise à son coucher tombait des verdures. Quand ils revirent, au sortir des feuillages, le soleil, dont la splendeur emplissait encore un coin de l’horizon, ils se rassurèrent, Serge surtout, qui trouvait à chaque être, à chaque plante, un sens nouveau. Autour de lui, tout s’inclinait, tout apportait un hommage à son amour. Le jardin n’était plus qu’une dépendance de la beauté d’Albine, et il semblait avoir grandi, s’être embelli, dans le baiser de ses maîtres.

Mais la joie d’Albine restait inquiète. Elle interrompait ses rires, pour prêter l’oreille, avec des tressaillements brusques.

— Qu’as-tu donc ? demandait Serge.

— Rien, répondait-elle, avec des coups d’œil jetés furtivement derrière elle.

Ils ne savaient dans quel coin perdu du parc ils étaient. D’ordinaire, cela les égayait, d’ignorer où leur caprice les poussait. Cette fois, ils éprouvaient un trouble, un embarras singulier. Peu à peu, ils hâtèrent le pas. Ils s’enfon-