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LES ROUGON-MACQUART.

ferait tomber… Écoute. Je m’épouvante moi-même. Je ne sais quel homme est en moi. Je me suis tué, et j’ai de mon sang plein les mains. Si tu m’emmenais, tu n’aurais plus jamais de mes yeux que des larmes.

Elle baisa ses yeux qui pleuraient. Elle reprit avec emportement :

— N’importe ! m’aimes-tu ?

Lui, terrifié, ne put répondre. Un pas lourd, derrière la muraille, faisait rouler les cailloux. C’était comme l’approche lente d’un grognement de colère. Albine ne s’était pas trompée, quelqu’un était là, troublant la paix des taillis d’une haleine jalouse. Alors, tous deux voulurent se cacher derrière une broussaille, pris d’un redoublement de honte. Mais déjà, debout au seuil de la brèche, Frère Archangias les voyait.

Le Frère resta un instant, les poings fermés, sans parler. Il regardait le couple, Albine réfugiée au cou de Serge, avec un dégoût d’homme rencontrant une ordure au bord d’un fossé.

— Je m’en doutais, mâcha-t-il entre ses dents. On avait dû le cacher là.

Il fit quelques pas, il cria :

— Je vous vois, je sais que vous êtes nus… C’est une abomination. Êtes-vous une bête, pour courir les bois avec cette femelle ? Elle vous a mené loin, dites ! elle vous a traîné dans la pourriture, et vous voilà tout couvert de poils comme un bouc… Arrachez donc une branche pour la lui casser sur les reins !

Albine, d’une voix ardente, disait tout bas :

— M’aimes-tu ? m’aimes-tu ?

Serge, la tête basse, se taisait, sans la repousser encore.

— Heureusement que je vous ai trouvé, continua Frère Archangias. J’avais découvert ce trou… Vous avez désobéi