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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Un de ces jours, tu voudras bien que je te le montre, dis ?

Tout en se faisant caressante, elle avait pris les tartines de son frère, qu’elle mordait à belles dents. Elle en avait achevé une, elle entamait la seconde, lorsque la Teuse s’en aperçut.

— Mais ce n’est pas à vous, ce pain-là ! Voilà que vous lui retirez les morceaux de la bouche, maintenant !

— Laissez, dit l’abbé Mouret doucement, je n’y aurais pas touché… Mange, mange tout, ma chérie.

Désirée était demeurée un instant confuse, regardant le pain, se contenant pour ne pas pleurer. Puis, elle se mit à rire, achevant la tartine. Et elle continuait :

— Ma vache non plus n’est pas triste comme toi… Tu n’étais pas là, lorsque l’oncle Pascal me l’a donnée, en me faisant promettre d’être sage. Autrement, tu aurais vu comme elle a été contente, quand je l’ai embrassée, la première fois.

Elle tendit l’oreille. Un chant de coq venait de la basse-cour, un vacarme grandissait, des battements d’ailes, des grognements, des cris rauques, toute une panique de bêtes effarouchées.

— Ah ! tu ne sais pas, reprit-elle brusquement en tapant dans ses mains, elle doit être pleine… Je l’ai menée au taureau, à trois lieues d’ici, au Béage. Dame ! c’est qu’il n’y a pas des taureaux partout !… Alors, pendant qu’elle était avec lui, j’ai voulu rester, pour voir.

La Teuse haussait les épaules, en regardant le prêtre, d’un air contrarié.

— Vous feriez mieux, mademoiselle, d’aller mettre la paix parmi vos poules… Tout votre monde s’assassine là-bas.

Mais Désirée tenait à son histoire.

— Il est monté sur elle, il l’a prise entre ses pattes… On riait. Il n’y a pourtant pas de quoi rire ; c’est naturel. Il