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LES ROUGON-MACQUART.

— Tiens ! c’est parce que je mange ! s’écria-t-elle. Toi, si tu mangeais, tu deviendrais très-gros… Tu es donc encore malade ? Tu as l’air tout triste… Je ne veux pas que ça recommence, entends-tu ? Je me suis trop ennuyée, pendant qu’on t’avait emmené pour te guérir.

— Elle a raison, dit la Teuse. Vous n’avez pas de bon sens, monsieur le curé ; ce n’est point une existence, de vivre de deux ou trois miettes par jour, comme un oiseau. Vous ne vous faites plus de sang, parbleu ! C’est ça qui vous rend tout pâle… Est-ce que vous n’avez pas honte de rester plus maigre qu’un clou, lorsque nous sommes si grasses, nous autres, qui ne sommes que des femmes ? On doit croire que nous ne vous laissons rien dans les plats.

Et toutes deux, crevant de santé, le grondaient amicalement. Il avait des yeux très-grands, très-clairs, derrière lesquels on voyait comme un vide. Il souriait toujours.

— Je ne suis pas malade, répondit-il. J’ai presque fini mon lait.

Il avait bu deux petites gorgées, sans toucher aux tartines.

— Les bêtes, dit Désirée songeuse, ça se porte mieux que les gens.

— Eh bien ! c’est joli pour nous, ce que vous avez trouvé là ! s’écria la Teuse en riant.

Mais cette chère innocente de vingt ans n’avait aucune malice.

— Bien sûr, continua-t-elle. Les poules n’ont pas mal à la tête, n’est-ce pas ? Les lapins, on les engraisse tant qu’on veut. Et mon cochon, tu ne peux pas dire qu’il ait jamais l’air triste.

Puis, se tournant vers son frère, d’un air ravi :

— Je l’ai appelé Mathieu, parce qu’il ressemble à ce gros homme qui apporte les lettres ; il est devenu joliment fort… Tu n’es pas aimable de refuser toujours de le voir.