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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

L’abbé Mouret souriait toujours. Il dit gaiement :

— Jésus n’a pas besoin de tant de linge, ma bonne Teuse. Il a toujours chaud, il est toujours royalement reçu, quand on l’aime bien.

Puis, se dirigeant vers une petite fontaine, il demanda :

— Est-ce que ma sœur est levée ? Je ne l’ai pas vue.

— Il y a beau temps que mademoiselle Désirée est descendue, répondit la servante, agenouillée devant un ancien buffet de cuisine, dans lequel étaient serrés les vêtements sacrés. Elle est déjà à ses poules et à ses lapins… Elle attendait hier des poussins qui ne sont pas venus. Vous pensez quelle émotion !

Elle s’interrompit, disant :

— La chasuble d’or, n’est-ce pas ?

Le prêtre, qui s’était lavé les mains, recueilli, les lèvres balbutiant une prière, fit un signe de tête affirmatif. La paroisse n’avait que trois chasubles, une violette, une noire et une d’étoffe d’or. Cette dernière, servant les jours où le blanc, le rouge ou le vert étaient prescrits, prenait une importance extraordinaire. La Teuse la souleva religieusement de la planche garnie de papier bleu, où elle la couchait après chaque cérémonie ; elle la posa sur le buffet, enlevant avec précaution les linges fins qui en garantissaient les broderies. Un agneau d’or y dormait sur une croix d’or, entouré de larges rayons d’or. Le tissu, limé aux plis, laissait échapper de minces houppettes ; les ornements en relief se rongeaient et s’effaçaient. C’était, dans la maison, une continuelle inquiétude autour d’elle, une tendresse terrifiée, à la voir s’en aller ainsi paillette à paillette. Le curé devait la mettre presque tous les jours. Et comment la remplacer, comment acheter les trois chasubles dont elle tenait lieu, lorsque les derniers fils d’or seraient usés !

La Teuse, par-dessus la chasuble, étala l’étole, le mani-