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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Frère voulait jouer. Il lui donna des tapes sur les épaules, finit par l’asseoir, et si violemment, que la chaise craqua. Il battait déjà les cartes. Désirée, qui le détestait, avait disparu avec son dessert, qu’elle montait presque tous les soirs manger dans son lit.

— Je veux les rouges, dit la Teuse.

Et la lutte s’engagea. La Teuse enleva d’abord quelques belles cartes au Frère. Puis, deux as tombèrent en même temps sur la table.

— Bataille ! cria-t-elle avec une émotion extraordinaire.

Elle jeta un neuf, ce qui la consterna ; mais le Frère n’ayant jeté qu’un sept, elle ramassa les cartes, triomphante. Au bout d’une demi-heure, elle n’avait plus de nouveau que deux as, les chances se trouvaient rétablies. Et, vers le troisième quart-d’heure, c’était elle qui perdait un as. Le va-et-vient des valets, des dames et des rois, avait toute la furie d’un massacre.

— Hein ! elle est fameuse, cette partie ! dit Frère Archangias, en se tournant vers l’abbé Mouret.

Mais il le vit si perdu, si loin, ayant aux lèvres un sourire si inconscient, qu’il haussa brutalement la voix.

— Eh bien ! monsieur le curé, vous ne nous regardez donc pas ? Ce n’est guère poli… Nous ne jouons que pour vous. Nous cherchons à vous égayer… Allons, regardez le jeu. Ça vous vaudra mieux que de rêvasser. Où étiez-vous encore ?

Le prêtre avait eu un tressaillement. Il ne répondit pas, il s’efforça de suivre le jeu, les paupières battantes. La partie continuait avec acharnement. La Teuse regagna son as, puis le reperdit. Certains soirs, ils se disputaient ainsi les as pendant quatre heures ; et souvent même ils allaient se coucher, furibonds, n’ayant pu se battre.

— Mais j’y songe ! cria tout d’un coup la Teuse, qui