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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

sur la caisse renversée d’une vieille charrette, où il attendit avec une patience de dogue.

— Voilà monsieur le curé ! crièrent tous les Bambousse et tous les Brichet attablés.

Et l’on remplit de nouveau les verres. L’abbé Mouret dut en prendre un. Il n’y avait pas eu de noce. Seulement, le soir, après le dîner, on avait posé sur la table une dame-jeanne d’une cinquantaine de litres, qu’il s’agissait de vider, avant d’aller se mettre au lit. Ils étaient dix, et déjà le père Bambousse renversait d’une seule main la dame-jeanne, d’où ne coulait plus qu’un mince filet rouge. La Rosalie, très-gaie, trempait le menton du petit dans son verre, tandis que le grand Fortuné faisait des tours, soulevait des chaises, avec les dents. Tout le monde passa dans la chambre. L’usage voulait que le curé y bût le vin qu’on lui avait versé. C’était là ce qu’on appelait bénir la chambre. Ça portait bonheur, ça empêchait le ménage de se battre. Du temps de M. Caffin, les choses se passaient joyeusement, le vieux prêtre aimant à rire ; il était même réputé pour la façon dont il vidait le verre, sans laisser une goutte au fond ; d’autant plus que les femmes, aux Artaud, prétendaient que chaque goutte laissée était une année d’amour en moins pour les époux. Avec l’abbé Mouret, on plaisantait moins haut. Il but pourtant d’un trait, ce qui parut flatter beaucoup le père Bambousse. La vieille Brichet regarda avec une moue le fond du verre, où un peu de vin restait. Devant le lit, un oncle, qui était garde-champêtre, risquait des gaudrioles très-raides, dont riait la Rosalie, que le grand Fortuné avait déjà poussée à plat ventre au bord des matelas, par manière de caresse. Et quand tous eurent trouvé un mot gaillard, on retourna dans la salle. Vincent et Catherine y étaient demeurés seuls. Vincent, monté sur une chaise, penchant l’énorme dame-jeanne, entre ses bras, achevait de la vider dans la bouche ouverte de Catherine.