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LES ROUGON-MACQUART.

quenaude devrait casser ! Il est cuit au feu de l’enfer. J’ai senti ses griffes.

Sa rage impuissante piétinait sur les cailloux épars. Brusquement, il se tourna contre l’abbé Mouret.

— C’est votre faute ! cria-t-il. Vous auriez dû m’aider, et à nous deux nous l’aurions étranglé.

À l’autre bout du village, le tapage avait grandi dans la maison de Bambousse. On entendait distinctement les culs de verres tapés en mesure sur la table. Le prêtre s’était remis à marcher, sans lever la tête, se dirigeant vers la grande clarté claire que jetait la fenêtre, pareille à la flambée d’un feu de sarments. Le Frère le suivit, sombre, la soutane souillée de poussière, une joue saignant de l’effleurement d’un caillou. Puis, de sa voix dure, après un silence :

— Irez-vous ? demanda-t-il.

Et, l’abbé Mouret ne répondant pas, il continua :

— Prenez garde ! vous retournez au péché… Il a suffi que cet homme passât, pour que toute votre chair eût un tressaillement. Je vous ai vu sous la lune, pâle comme une fille… Prenez garde, entendez-vous ! Cette fois Dieu ne pardonnerait pas. Vous tomberiez dans la pourriture dernière… Ah ! misérable boue, c’est la saleté qui vous emporte !

Alors, le prêtre leva enfin la face. Il pleurait à grosses larmes, silencieusement. Il dit avec une douceur navrée :

— Pourquoi me parlez-vous ainsi ?… Vous êtes toujours là, vous connaissez mes luttes de chaque heure. Ne doutez pas de moi, laissez-moi la force de me vaincre.

Ces paroles si simples, baignées de larmes muettes, prenaient dans la nuit un tel caractère de douleur sublime, que Frère Archangias lui-même, malgré sa rudesse, se sentit troublé. Il n’ajouta pas un mot, secouant sa soutane, essuyant sa joue saignante. Lorsqu’ils furent devant la maison des Bambousse, il refusa d’entrer. Il s’assit, à quelques pas,