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LES ROUGON-MACQUART.

— Quand ? jeudi ? insista-t-elle. Tu sais, la vache est grosse. Elle n’a pas l’air à son aise, depuis deux jours… Tu es médecin, tu pourrais peut-être lui donner un remède.

L’abbé Mouret, qui était demeuré là, paisible, ne put retenir un léger rire. Le docteur monta gaiement dans son cabriolet, en disant :

— C’est ça, je soignerai la vache… Approche, que je t’embrasse, la grande bête ! Tu sens bon, tu sens la santé. Et tu vaux mieux que tout le monde. Si tout le monde était comme ma grande bête, la terre serait trop belle.

Il jeta à son cheval un léger claquement de la langue, et continua à parler tout seul, pendant que le cabriolet descendait la pente.

— Oui, des brutes, il ne faudrait que des brutes. On serait beau, on serait gai, on serait fort. Ah ! c’est le rêve !… Ça a bien tourné pour la fille, qui est aussi heureuse que sa vache. Ça a mal tourné pour le garçon, qui agonise dans sa soutane. Un peu plus de sang, un peu plus de nerfs, va te promener ! on manque sa vie… De vrais Rougon et de vrais Macquart, ces enfants-là ! La queue de la bande, la dégénérescence finale.

Et poussant son cheval, il monta au trot le côteau qui conduisait au Paradou.