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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

d’entendre sa voix, arriva en courant. Elle adorait l’oncle. Quand elle était plus jeune, il écoutait son bavardage de gamine pendant des heures, sans se lasser. Maintenant encore, il la gâtait, s’intéressait à sa basse-cour, restait très-bien un après-midi avec elle, au milieu des poules et des canards, à lui sourire de ses yeux aigus de savant. Il l’appelait « la grande bête, » d’un ton d’admiration caressante. Il paraissait la mettre bien au-dessus des autres filles. Aussi se jeta-t-elle à son cou, d’un élan de tendresse. Elle cria :

— Tu restes ? Tu déjeunes ?

Mais il l’embrassa, refusant, se débarrassant de son étreinte d’un air bourru. Elle avait un rire clair ; elle se pendit de nouveau à ses épaules.

— Tu as bien tort, reprit-elle. J’ai des œufs tout chauds. Je guettais les poules. Elles en ont fait quatorze, ce matin… Et nous aurions mangé un poulet, le blanc, celui qui bat les autres. Tu étais là, jeudi, quand il a crevé un œil au grand moucheté.

L’oncle restait fâché. Il s’irritait contre le nœud de la bride, qu’il ne parvenait pas à défaire. Alors, elle se mit à sauter autour de lui, tapant des mains, chantonnant, sur un air de flûte :

— Si, si, tu restes… Nous le mangerons, nous le mangerons !

Et la colère de l’oncle ne put tenir davantage. Il leva la tête, il sourit. Elle était trop saine, trop vivante, trop vraie. Elle avait une gaieté trop large, naturelle et franche comme la nappe de soleil qui dorait sa chair nue.

— La grande bête ! murmura-t-il, charmé.

Puis, la prenant par les poignets, pendant qu’elle continuait à sauter :

— Écoute, pas aujourd’hui. J’ai une pauvre fille qui est malade. Mais je reviendrai un autre matin… Je te le promets.