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LES ROUGON-MACQUART.

Elle se dressait devant lui, souveraine, allongeant les bras. Elle répéta d’une voix plus haute :

— Entends-tu, Serge ? tu es à moi !

Alors, lentement, l’abbé Mouret se leva. Il s’adossa à l’autel, en disant :

— Non, vous vous trompez, je suis à Dieu.

Il était plein de sérénité. Sa face nue ressemblait à celle d’un saint de pierre, que ne trouble aucune chaleur venue des entrailles. Sa soutane tombait à plis droits, pareille à un suaire noir, sans rien laisser deviner de son corps. Albine recula à la vue du fantôme sombre de son amour. Elle ne retrouvait point sa barbe libre, sa chevelure libre. Maintenant, au milieu de ses cheveux coupés, elle apercevait une tache blême, la tonsure, qui l’inquiétait comme un mal inconnu, quelque plaie mauvaise, grandie là pour manger la mémoire des jours heureux. Elle ne reconnaissait ni ses mains autrefois tièdes de caresses, ni son cou souple tout sonore de rires, ni ses pieds nerveux dont le galop l’emportait au fond des verdures. Était-ce donc là le garçon aux muscles forts, le col dénoué montrant le duvet de la poitrine, la peau épanouie par le soleil, les reins vibrants de vie, dans l’étreinte duquel elle avait vécu une saison ? À cette heure, il ne semblait plus avoir de chair, le poil lui était honteusement tombé, toute sa virilité se séchait sous cette robe de femme qui le laissait sans sexe.

— Oh ! murmura-t-elle, tu me fais peur… M’as-tu cru morte, que tu as pris le deuil ? Enlève ce noir, mets une blouse. Tu retrousseras les manches, nous pêcherons encore des écrevisses… Tes bras étaient aussi blonds que les miens.

Elle avait porté la main sur la soutane, comme pour en arracher l’étoffe. Lui, la repoussa du geste, sans la toucher. Il la regardait, il s’affermissait contre la tentation, en ne la quittant pas des yeux. Elle lui paraissait grandie. Elle n’était plus la gamine aux bouquets sau-