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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

sec. En venant, je pensais « Lorsqu’il sera avec moi, tout à l’heure, nous marcherons doucement, en nous embrassant… » Allons, dépêche-toi. Je t’attends, Serge.

Le prêtre semblait ne plus entendre. Il s’était remis en prières, demandant au ciel le courage des saints. Avant d’engager la lutte suprême, il s’armait des épées flamboyantes de la foi. Un instant, il craignit de faiblir. Il lui avait fallu un héroïsme de martyr pour laisser ses genoux collés à la dalle, pendant que chaque mot d’Albine l’appelait : son cœur allait vers elle, tout son sang se soulevait, le jetait dans ses bras, avec l’irrésistible désir de baiser ses cheveux. Elle avait, de l’odeur seule de son haleine, éveillé et fait passer en une seconde les souvenirs de leur tendresse, le grand jardin, les promenades sous les arbres, la joie de leur union. Mais la grâce le trempa de sa rosée plus abondante ; ce ne fut que la torture d’un moment, qui vida le sang de ses veines ; et rien d’humain ne demeura en lui. Il n’était plus que la chose de Dieu.

Albine dut le toucher de nouveau à l’épaule. Elle s’inquiétait, elle s’irritait peu à peu.

— Pourquoi ne réponds-tu pas ? Tu ne peux refuser, tu vas me suivre… Songe que j’en mourrais, si tu refusais. Mais non, cela n’est pas possible. Rappelle-toi. Nous étions ensemble, nous ne devions jamais nous quitter. Et vingt fois tu t’es donné. Tu me disais de te prendre tout entier, de prendre tes membres, de prendre ton souffle, de prendre ta vie… Je n’ai point rêvé, peut-être. Il n’y a pas une place de ton corps que tu ne m’aies livrée, pas un de tes cheveux dont je ne sois la maîtresse. Tu as un signe à l’épaule gauche, je l’ai baisé, il est à moi. Tes mains sont à moi, je les ai serrées pendant des jours dans les miennes. Et ton visage, tes lèvres, tes yeux, ton front, tout cela est à moi, j’en ai disposé pour mes tendresses… Entends-tu, Serge ?