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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

j’étrangle, rien que d’avoir goûté à ton genou. Il est trop salé, ton genou… Je mords les femmes, puis je les crache, tu vois.

Il la tutoyait, il crachait sur ses jupons. Quand il eut réussi à se mettre debout, il souffla un instant, en se frottant les côtes. Des bouffées de gaieté secouaient encore son ventre, comme une outre qu’on achève de vider. Il dit enfin, d’une grosse voix sérieuse :

— Jouons… Si je ris, c’est mon affaire. Vous n’avez pas besoin de savoir pourquoi, la Teuse.

Et la partie s’engagea. Elle fut terrible. Le Frère abattait les cartes avec des coups de poing. Quand il criait : Bataille ! les vitres sonnaient. C’était la Teuse qui gagnait. Elle avait trois as depuis longtemps, elle guettait le quatrième d’un regard luisant. Cependant, Frère Archangias se livrait à d’autres plaisanteries. Il soulevait la table, au risque de casser la lampe ; il trichait effrontément, se défendant à l’aide de mensonges énormes, pour la farce, disait-il ensuite. Brusquement, il entonna les Vêpres, qu’il chanta d’une voix pleine de chantre au lutrin. Et il ne cessa plus, ronflant lugubrement, accentuant la chute de chaque verset en tapant ses cartes, sur la paume de sa main gauche. Quand sa gaieté était au comble, quand il ne trouvait plus rien pour l’exprimer, il chantait ainsi les Vêpres, pendant des heures. La Teuse, qui le connaissait bien, se pencha pour lui crier, au milieu du mugissement dont il emplissait la salle à manger :

— Taisez-vous, c’est insupportable !… Vous êtes trop gai, ce soir.

Alors, il entama les Complies. L’abbé Mouret était allé s’asseoir près de la fenêtre. Il semblait ne pas voir, ne pas entendre ce qui se passait autour de lui. Pendant le dîner, il avait mangé comme à son ordinaire, il était même parvenu à répondre aux éternelles questions de Désirée. Main-