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LES ROUGON-MACQUART.

tenant, il s’abandonnait, à bout de force ; il roulait, brisé, anéanti, dans la querelle furieuse qui continuait en lui, sans trêve. Le courage même lui manquait pour se lever et monter à sa chambre. Puis, il craignait que, s’il tournait la face du côté de la lampe, on ne vît ses larmes, qu’il ne pouvait plus retenir. Il appuya le front contre une vitre, il regarda les ténèbres du dehors, s’endormant peu à peu, glissant à une stupeur de cauchemar.

Frère Archangias, psalmodiant toujours, cligna les yeux, en montrant le prêtre endormi, d’un mouvement de tête.

— Quoi ? demanda la Teuse.

Le Frère répéta son jeu de paupière, en l’accentuant.

— Eh ! quand vous vous démancherez le cou ! dit la servante. Parlez, je vous comprendrai… Tenez, un roi. Bon ! je prends votre dame.

Il posa un instant ses cartes, se courba sur la table, lui souffla dans la figure :

— La gueuse est venue.

— Je le sais bien, répondit-elle. Je l’ai vue avec mademoiselle entrer dans la basse-cour.

Il la regarda terriblement, il avança les poings.

— Vous l’avez vue, vous l’avez laissée entrer ! Il fallait m’appeler, nous l’aurions pendue par les pieds à un clou de votre cuisine.

Mais elle se fâcha, tout en contenant sa voix, pour ne pas réveiller l’abbé Mouret.

— Ah bien ! bégaya-t-elle, vous êtes encore bon, vous ! Venez donc pendre quelqu’un dans ma cuisine !… Sans doute, je l’ai vue. Et même, j’ai tourné le dos, quand elle est allée rejoindre monsieur le curé dans l’église, après le catéchisme. Ils ont bien pu y faire ce qu’ils ont voulu. Est-ce que ça me regarde ? est-ce que je n’avais pas à mettre mes haricots sur le feu ?… Moi, je l’abomine, cette fille. Mais du moment qu’elle est la santé de monsieur le curé…