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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/394

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LES ROUGON-MACQUART.

pleuvaient sur eux comme des gouttes de chaleur. Plus loin, sous ce chêne, ils avaient échangé leur premier baiser. Le chêne conservait l’odeur de ce baiser ; les mousses elles-mêmes en causaient toujours. C’était un mensonge de dire que la forêt devenait muette et vide. Et Serge tournait la tête, pour éviter les yeux d’Albine, qui le fatiguaient.

Elle le mena aux grandes roches. Peut-être là ne frissonnerait-il plus de cet air débile qui la désespérait. Seules, les grandes roches, à cette heure, étaient encore chaudes de la braise rouge du soleil couchant. Elles avaient toujours leur passion tragique, leurs lits ardents de cailloux, où se roulaient des plantes grasses, monstrueusement accouplées. Et, sans parler, sans même tourner la tête, Albine entraînait Serge le long de la rude montée, voulant le mener plus haut, encore plus haut, au delà des sources, jusqu’à ce qu’ils fussent de nouveau tous les deux dans le soleil. Ils retrouveraient le cèdre sous lequel ils avaient éprouvé l’angoisse du premier désir. Ils se coucheraient par terre, sur les dalles ardentes, en attendant que le rut de la terre les gagnât. Mais, bientôt, les pieds de Serge se heurtèrent cruellement. Il ne pouvait plus marcher. Une première fois, il tomba sur les genoux. Albine, d’un effort suprême, le releva, l’emporta un instant. Et il retomba, il resta abattu, au milieu du chemin. En face, au-dessous de lui, le Paradou immense s’étendait.

— Tu as menti ! cria Albine, tu ne m’aimes plus !

Et elle pleurait, debout à son côté, se sentant impuissante à l’emporter plus haut. Elle n’avait pas de colère encore, elle pleurait leurs amours agonisantes. Lui, restait écrasé.

— Le jardin est mort, j’ai toujours froid, murmura-t-il.

Mais elle lui prit la tête, elle lui montra le Paradou, d’un geste.

— Regarde donc !… Ah ! ce sont tes yeux qui sont morts, ce sont tes oreilles, tes membres, ton corps entier. Tu as