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LES ROUGON-MACQUART.

si furieusement. Pendant des heures, tu es restée vivante devant moi, me tenaillant de tes doigts souples. Quand je fermais les yeux, tu t’allumais comme un soleil, tu m’enveloppais de ta flamme… Alors, j’ai marché sur tout, je suis venu.

Il garda un court silence, songeur ; puis, il continua :

— Et maintenant mes bras sont comme brisés. Si je voulais te prendre contre ma poitrine, je ne saurais point te tenir, je te laisserais tomber… Attends que ce frisson m’ait quitté. Tu me donneras tes mains, je les baiserai encore. Sois bonne, ne me regarde pas de tes yeux irrités. Aide-moi à retrouver mon cœur.

Et il avait une tristesse si vraie, une envie si évidente de recommencer leur vie tendre, qu’Albine fut touchée. Un instant, elle redevint très-douce. Elle le questionna avec sollicitude.

— Où souffres-tu ? quel est ton mal ?

— Je ne sais. Il me semble que tout le sang de mes veines s’en va… Tout à l’heure, en venant, j’ai cru qu’on me jetait sur les épaules une robe glacée, qui se collait à ma peau, et qui, de la tête aux pieds, me faisait un corps de pierre… J’ai déjà senti cette robe sur mes épaules… Je ne me souviens plus.

Mais elle l’interrompit d’un rire amical.

— Tu es un enfant, tu auras pris froid, voilà tout… Écoute, ce n’est pas moi qui te fais peur, au moins ? L’hiver, nous ne resterons pas au fond de ce jardin, comme deux sauvages. Nous irons où tu voudras, dans quelque grande ville. Nous nous aimerons, au milieu du monde, aussi tranquillement qu’au milieu des arbres. Et tu verras que je ne suis pas qu’une vaurienne, sachant dénicher des nids, marchant des heures sans être lasse… Quand j’étais petite, je portais des jupes brodées, avec des bas à jour, des guimpes, des falbalas. Personne ne t’a conté cela, peut-être ?