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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

ainsi qu’elle le disait. Depuis le matin six heures, elle roulait sa masse énorme, de la cuisine à la basse-cour. Elle devait faire le boudin. C’était elle qui avait battu le sang, deux larges terrines toutes roses au grand soleil. Et jamais elle n’aurait fini, parce que mademoiselle l’appelait toujours, pour des riens. Il faut dire qu’à l’heure même où le boucher saignait Mathieu, Désirée avait eu une grosse émotion, en entrant dans l’écurie. Lise, la vache, était en train d’y accoucher. Alors, saisie d’une joie extraordinaire, elle avait achevé de perdre la tête.

— Un s’en va, un autre arrive ! cria-t-elle, sautant, pirouettant sur elle-même. Mais viens donc voir, la Teuse !

Il était onze heures. Par moments, un chant sortait de l’église. On saisissait un murmure confus de voix désolées, un balbutiement de prière, d’où montaient brusquement des lambeaux de phrases latines, jetés à pleine voix.

— Viens donc ! répéta Désirée pour la vingtième fois.

— Il faut que j’aille sonner, murmura la vieille servante ; jamais je n’aurai fini… Qu’est-ce que vous voulez encore, mademoiselle ?

Mais elle n’attendit pas la réponse. Elle se jeta au milieu d’une bande de poules, qui buvaient goulûment le sang, dans les terrines. Elle les dispersa à coups de pied, furieuse. Puis elle couvrit les terrines, en disant :

— Ah bien ! au lieu de me tourmenter vous feriez mieux de veiller sur ces gueuses… Si vous les laissez faire, vous n’aurez pas de boudin, comprenez-vous !

Désirée riait. Quand les poules auraient bu un peu de sang, le grand mal ! Ça les engraissait. Puis, elle voulut emmener la Teuse auprès de la vache. Celle-ci se débattait.

— Il faut que j’aille sonner… L’enterrement va sortir. Vous entendez bien.

À ce moment, dans l’église, les voix grandirent, traînèrent sur un ton mourant. Un bruit de pas arriva, très-distinct.