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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Personne n’avait eu le temps d’intervenir. Le Frère poussa un hurlement.

— La gauche sera pour une autre fois, dit paisiblement Jeanbernat en jetant l’oreille par terre.

Et il repartit. La stupeur fut telle, qu’on ne le poursuivit même pas. Frère Archangias s’était laissé tomber sur le tas de terre fraîche retirée du trou. Il avait mis son mouchoir en tampon sur sa blessure. Un des quatre porteurs voulut l’emmener, le reconduire chez lui. Mais il refusa du geste. Il resta là, farouche, attendant, voulant voir descendre Albine dans le trou.

— Enfin, c’est notre tour, dit la Rosalie avec un léger soupir.

Cependant, l’abbé Mouret s’attardait près de la fosse, à regarder les porteurs qui attachaient le cercueil d’Albine avec des cordes, pour le faire glisser sans secousse. La cloche sonnait toujours ; mais la Teuse devait se fatiguer, car les coups s’égaraient, comme irrités de la longueur de la cérémonie. Le soleil devenait plus chaud, l’ombre du Solitaire se promenait lentement, au milieu des herbes toutes bossuées de tombes. Lorsque l’abbé Mouret dut se reculer, afin de ne point gêner, ses yeux rencontrèrent le marbre de l’abbé Caffin, ce prêtre qui avait aimé et qui dormait là, si paisible, sous les fleurs sauvages.

Puis, tout d’un coup, pendant que le cercueil descendait, soutenu par les cordes, dont les nœuds lui arrachaient des craquements, un tapage effroyable monta de la basse-cour, derrière le mur. La chèvre bêlait. Les canards, les oies, les dindes, claquaient du bec, battaient des ailes. Les poules chantaient l’œuf, toutes ensemble. Le coq fauve Alexandre jetait son cri de clairon. On entendait jusqu’aux bonds des lapins, ébranlant les planches de leurs cabines. Et, par-dessus toute cette vie bruyante du petit peuple des bêtes, un grand rire sonnait. Il y eut un froissement de jupes. Dé-