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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/426

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LES ROUGON-MACQUART.

transfigurait. Et il se baissa, il ramassa une poignée de terre qu’il sema sur la bière en forme de croix. Il récitait, d’une voix si claire, que pas une syllabe ne fut perdue :

Revertitur in terram suam unde erat, et spiritus redit ad Deum qui dedit illum.

Un frisson avait couru parmi les assistants. Lisa réfléchissait, disant d’un air ennuyé :

— Ça n’est pas gai tout de même, quand on pense qu’on y passera à son tour.

Frère Archangias avait tendu l’aspersoir au prêtre. Celui-ci le secoua au-dessus du corps, à plusieurs reprises. Il murmura :

Requiescat in pace.

Amen, répondirent à la fois Vincent et le Frère, d’un ton si aigu et d’un ton si grave, que Catherine dut se mettre le poing sur la bouche, pour ne pas éclater.

— Non, non, ce n’est pas gai, continuait Lisa… Il n’y a seulement personne, à cet enterrement. Sans nous, le cimetière serait vide.

— On raconte qu’elle s’est tuée, dit la vieille Brichet.

— Oui, je sais, interrompit la Rousse. Le Frère ne voulait pas qu’on l’enterrât avec les chrétiens. Mais monsieur le curé a répondu que l’éternité était pour tout le monde. J’étais là… N’importe, le Philosophe aurait pu venir.

Mais la Rosalie les fit taire en murmurant :

— Eh ! regardez, le voilà, le Philosophe !

En effet, Jeanbernat entrait dans le cimetière. Il marcha droit au groupe qui se tenait autour de la fosse. Il avait son pas gaillard, si souple encore, qu’il ne faisait aucun bruit. Quand il se fut avancé, il demeura debout derrière Frère Archangias, dont il sembla couver un instant la nuque des yeux. Puis, comme l’abbé Mouret achevait les oraisons, il tira tranquillement un couteau de sa poche, l’ouvrit, et abattit, d’un seul coup, l’oreille droite du Frère.