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LES ROUGON-MACQUART.

rent… D’ailleurs, c’est de là que le Mascle sort. On m’a parlé de trois ou quatre sources, je crois.

Et, en phrases hachées, coupées d’incidentes étrangères au sujet, il raconta l’histoire du Paradou, une sorte de légende qui courait le pays. Du temps de Louis XV, un seigneur y avait bâti un palais superbe, avec des jardins immenses, des bassins, des eaux ruisselantes, des statues, tout un petit Versailles perdu dans les pierres, sous le grand soleil du Midi. Mais il n’y était venu passer qu’une saison, en compagnie d’une femme adorablement belle, qui mourut là sans doute, car personne ne l’avait vue en sortir. L’année suivante, le château brûla, les portes du parc furent clouées, les meurtrières des murs elles-mêmes s’emplirent de terre ; si bien que, depuis cette époque lointaine, pas un regard n’était entré dans ce vaste enclos, qui tenait tout un des hauts plateaux des Garrigues.

— Les orties ne doivent pas manquer, dit en riant l’abbé Mouret… Ça sent l’humide tout le long de ce mur, vous ne trouvez pas, mon oncle ?

Puis, après un silence :

— Et à qui appartient le Paradou, maintenant ? demanda-t-il.

— Ma foi, on ne sait pas, répondit le docteur. Le propriétaire est venu dans le pays, il y a une vingtaine d’années. Mais il a été tellement effrayé par ce nid à couleuvres, qu’il n’a plus reparu… Le vrai maître est le gardien de la propriété, ce vieil original de Jeanbernat, qui a trouvé le moyen de se loger dans un pavillon, dont les pierres tiennent encore… Tiens, tu vois, cette masure grise, là-bas, avec ces grandes fenêtres mangées de lierre.

Le cabriolet passa devant une grille seigneuriale, toute saignante de rouille, garnie à l’intérieur de planches maçonnées. Les sauts-de-loup étaient noirs de ronces. À une centaine de mètres, le pavillon habité par Jeanbernat se