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LES ROUGON-MACQUART.

— Allons, encore un coup, monsieur le curé. Le diable n’est pas au fond de la bouteille, allez !

Le prêtre éprouvait un malaise. Il se sentait sans force pour ramener à Dieu cet étrange vieillard, dont la raison lui parut singulièrement détraquée. Maintenant, il se rappelait certains bavardages de la Teuse sur le Philosophe, nom que les paysans des Artaud donnaient à Jeanbernat. Des bouts d’histoires scandaleuses traînaient vaguement dans sa mémoire. Il se leva, faisant un signe au docteur, voulant quitter cette maison, où il croyait respirer une odeur de damnation. Mais, dans sa crainte sourde, une singulière curiosité l’attardait. Il restait là, allant au bout du petit jardin, fouillant le vestibule du regard, comme pour voir au delà, derrière les murs. Par la porte grande ouverte, il n’apercevait que la cage noire de l’escalier. Et il revenait, cherchant quelque trou, quelque échappée sur cette mer de feuilles, dont il sentait le voisinage, à un large murmure qui semblait battre la maison d’un bruit de vagues.

— Et la petite va bien ? demanda le docteur en prenant son chapeau.

— Pas mal, répondit Jeanbernat. Elle n’est jamais là. Elle disparaît pendant des matinées entières… Peut-être tout de même qu’elle est dans les chambres du haut.

Il leva la tête, il appela :

— Albine ! Albine !

Puis, haussant les épaules :

— Ah bien ! oui, c’est une fameuse gourgandine… Au revoir, monsieur le curé. Tout à votre disposition.

Mais l’abbé Mouret n’eut pas le temps de relever ce défi du Philosophe. Une porte venait de s’ouvrir brusquement, au fond du vestibule ; une trouée éclatante s’était faite, dans le noir de la muraille. Ce fut comme une vision de forêt vierge, un enfoncement de futaie immense, sous une pluie de soleil. Dans cet éclair, le prêtre saisit nettement, au loin,