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LES ROUGON-MACQUART.

des jupes brodées, des guimpes, des manchettes, un tas de falbalas… Ah bien ! les falbalas ont duré longtemps !

Il riait. Une grosse pierre faillit faire verser le cabriolet.

— Si je ne laisse pas une roue de ma voiture dans ce gredin de chemin ! murmura-t-il. Tiens-toi ferme, mon garçon.

La muraille continuait toujours. Le prêtre écoutait.

— Tu comprends, reprit le docteur, que le Paradou, avec son soleil, ses cailloux, ses chardons, mangerait une toilette par jour. Il n’a fait que trois ou quatre bouchées des belles robes de la petite. Elle revenait nue… Maintenant, elle s’habille comme une sauvage. Aujourd’hui, elle était encore possible. Mais il y a des fois où elle n’a guère que ses souliers et sa chemise… Tu as entendu ? le Paradou est à elle. Dès le lendemain de son arrivée, elle en a pris possession. Elle vit là, sautant par la fenêtre, lorsque Jeanbernat ferme la porte, s’échappant quand même, allant on ne sait où, au fond de trous perdus, connus d’elle seule… Elle doit mener un joli train, dans ce désert.

— Écoutez donc, mon oncle, interrompit l’abbé Mouret. On dirait un trot de bête, derrière cette muraille.

L’oncle Pascal écouta.

— Non, dit-il au bout d’un silence, c’est le bruit de la voiture, contre ces pierres… Va, la petite ne tape plus sur les pianos, à présent. Je crois même qu’elle ne sait plus lire. Imagine-toi une demoiselle retournée à l’état de vaurienne libre, lâchée en récréation dans une île abandonnée. Elle n’a gardé que son fin sourire de coquette, quand elle veut… Ah ! par exemple, si tu sais jamais une fille à élever, je ne te conseille pas de la confier à Jeanbernat. Il a une façon de laisser agir la nature tout à fait primitive. Lorsque je me suis hasardé à lui parler d’Albine, il m’a répondu qu’il ne fallait pas empêcher les arbres de pousser à leur gré. Il est, dit-il, pour le développement normal des tem-