Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
LES ROUGON-MACQUART.

Il se remit à table, gaiement, en homme qui a victoire gagnée.

— D’abord, reprit-il, il faut me permettre de manger… Je meurs de faim.

— Sans doute, murmura-t-elle, apitoyée. Est-ce qu’il y a du bon sens !… Voulez-vous que j’ajoute deux œufs sur le plat ? Ce ne serait pas long. Enfin, si vous avez assez… Et tout est froid ! Moi qui avais tant soigné vos aubergines ! Elles sont propres, maintenant ! On dirait de vieilles semelles… Heureusement que vous n’êtes pas sur votre bouche, comme ce pauvre monsieur Caffin… Oh ! çà, vous avez des qualités, je ne le nie pas.

Elle le servait, avec des attentions de mère, tout en bavardant. Puis, quand il eut fini, elle courut à la cuisine voir si le café était encore chaud. Elle s’abandonnait, elle boitait d’une façon extravagante, dans la joie du raccommodement. D’ordinaire, l’abbé Mouret redoutait le café, qui lui occasionnait de grands troubles nerveux ; mais, en cette circonstance, voulant sceller la paix, il accepta la tasse qu’elle lui apporta. Et comme il s’oubliait un instant à table, elle s’assit devant lui, elle répéta doucement, en femme que la curiosité torture :

— Où êtes-vous allé, monsieur le curé ?

— Mais, répondit-il en souriant, j’ai vu les Brichet, j’ai parlé à Bambousse…

Alors, il fallut qu’il lui racontât ce que les Brichet avaient dit, ce qu’avait décidé Bambousse, et la mine qu’ils faisaient, et l’endroit où ils travaillaient. Lorsqu’elle connut la réponse du père de Rosalie :

— Pardi ! cria-t-elle, si le petit mourait, la grossesse ne compterait pas.

Puis, joignant les mains d’un air d’admiration envieuse :

— Avez-vous dû bavarder, monsieur le curé ! Plus d’une demi-journée pour arriver à ce beau résultat !… Et vous