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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

mon voyage, pour que je m’en retourne chez moi. J’en ai assez des Artaud, et de votre église ! et de tout !

Elle retirait son tablier de ses mains tremblantes.

— Vous deviez bien voir que je ne voulais pas parler… Est-ce une vie, ça ! Il n’y a que les saltimbanques, monsieur le curé, qui font ça ! Il est onze heures, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas honte, d’être encore à table à près de deux heures ? Ce n’est pas d’un chrétien, non, ce n’est pas d’un chrétien !

Puis, se plantant devant lui :

— Enfin, d’où venez-vous ? qui avez-vous vu ? quelle affaire a pu vous retenir ?… Vous seriez un enfant qu’on vous donnerait le fouet. Un prêtre n’est pas à sa place sur les routes, au grand soleil, comme les gueux qui n’ont pas de toit… Ah ! vous êtes dans un bel état, les souliers tout blancs, la soutane perdue de poussière ! Qui vous la brossera, votre soutane ? qui vous en achètera une autre ?… Mais parlez donc, dites ce que vous avez fait ! Ma parole ! si l’on ne vous connaissait pas, on finirait par croire de drôles de choses. Et, voulez-vous que je vous le dise ? eh bien ! je n’en mettrais pas la main au feu. Quand on déjeune à des heures pareilles, on peut tout faire.

L’abbé Mouret, soulagé, laissait passer l’orage. Il éprouvait comme une détente nerveuse, dans les paroles emportées de la vieille servante.

— Voyons, ma bonne Teuse, dit-il, vous allez d’abord remettre votre tablier.

— Non, non, cria-t-elle, c’est fini, je m’en vais.

Mais lui, se levant, lui noua le tablier à la taille, en riant. Elle se débattait, elle bégayait :

— Je vous dis que non !… Vous êtes un enjôleur. Je lis dans votre jeu, je vois bien que vous voulez m’endormir, avec vos paroles sucrées… Où êtes-vous allé ? Nous verrons ensuite.