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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Alors, je l’ai pris, je l’ai gardé au chaud, dans ma poche. Depuis ce temps-là, il est joliment gaillard.

Elle allongeait les doigts entre les mailles du treillage, elle leur caressait l’échine.

— On dirait un satin, reprit-elle. Ils sont habillés comme des princes. Et coquets avec cela ! Tiens, en voilà un qui est toujours à se débarbouiller. Il use ses pattes… Si tu savais comme ils sont drôles ! Moi je ne dis rien, mais je m’aperçois bien de leurs malices. Ainsi, par exemple, ce gris qui nous regarde, détestait une petite femelle, que j’ai dû mettre à part. Il y a eu des histoires terribles entre eux. Ça serait trop long à conter. Enfin, la dernière fois qu’il l’a battue, comme j’arrivais furieuse, qu’est-ce que je vois ? ce gredin-là, blotti dans le fond, qui avait l’air de râler. Il voulait me faire croire que c’était lui qui avait à se plaindre d’elle…

Elle s’interrompit ; puis, s’adressant au lapin :

— Tu as beau m’écouter, tu n’es qu’un gueux !

Et se tournant vers son frère :

— Il entend tout ce que je dis, murmura-t-elle, avec un clignement d’yeux.

L’abbé Mouret ne put tenir davantage, dans la chaleur qui montait des portées. La vie, grouillant sous ce poil arraché du ventre des mères, avait un souffle fort, dont il sentait le trouble à ses tempes. Désirée, comme grisée peu à peu, s’égayait davantage, plus rose, plus carrée dans sa chair.

— Mais rien ne t’appelle ! cria-t-elle ; tu as l’air de toujours te sauver… Et mes petits poussins, donc ! Ils sont nés de cette nuit.

Elle prit du riz, elle en jeta une poignée devant elle. La poule, avec des gloussements d’appel, s’avança gravement, suivie de toute la bande des poussins, qui avaient un gazouillis et des courses folles d’oiseaux égarés. Puis, quand ils furent au beau milieu des grains de riz, la mère donna de furieux coups de bec, rejetant les grains qu’elle cassait,