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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

sœur n’avait obtenu d’en avoir une qu’après des semaines de supplications. Et lui, quand il venait, évitait le frôlement des longs poils soyeux de la bête, défendait sa soutane de l’approche de ses cornes.

— Va, je vais te rendre la liberté, dit Désirée qui s’aperçut de son malaise croissant. Mais, auparavant, il faut que je te montre encore quelque chose… Tu promets de ne pas me gronder ? Je ne t’en ai pas parlé, parce que tu n’aurais pas voulu… Si tu savais comme je suis contente !

Elle se faisait suppliante, joignant les mains, posant la tête contre l’épaule de son frère.

— Quelque folie encore, murmura celui-ci, qui ne put s’empêcher de sourire.

— Tu veux bien, dis ? reprit-elle, les yeux luisants de joie. Tu ne te fâcheras pas ?… Il est si joli !

Et, courant, elle ouvrit une porte basse, sous le hangar. Un petit cochon sauta d’un bond dans la cour.

— Oh ! le chérubin ! dit-elle d’un air de profond ravissement, en le regardant s’échapper.

Le petit cochon était charmant, tout rose, le groin lavé par les eaux grasses, avec le cercle de crasse que son continuel barbotement dans l’auge lui laissait près des yeux. Il trottait, bousculant les poules, accourant pour leur manger ce qu’on leur jetait, emplissant l’étroite cour de ses détours brusques. Ses oreilles battaient sur ses yeux, son groin ronflait à terre ; il ressemblait, sur ses pattes minces, à une bête à roulettes. Et, par derrière, sa queue avait l’air du bout de ficelle qui servait à l’accrocher.

— Je ne veux pas ici de cet animal ! s’écria le prêtre très-contrarié.

— Serge, mon bon Serge, supplia de nouveau Désirée, ne sois pas méchant… Vois comme il est innocent, le cher petit. Je le débarbouillerai, je le tiendrai bien propre. C’est la Teuse qui se l’est fait donner pour moi. On ne peut pas