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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/82

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LES ROUGON-MACQUART.

Il agita ses longs bras noirs, jusqu’à ce qu’il eût mis le couple en fuite. Au loin, sur les terres rouges, sur les roches pelées, le soleil se mourait, dans une dernière flambée d’incendie. Peu à peu, la nuit tomba. L’odeur chaude des lavandes devint plus fraîche, apportée par les souffles légers qui se levaient. Il y eut, par moments, un large soupir, comme si cette terre terrible, toute brûlée de passions, se fût enfin calmée, sous la pluie grise du crépuscule. L’abbé Mouret, son chapeau à la main, heureux du froid, sentait la paix de l’ombre redescendre en lui.

— Monsieur le curé ! Frère Archangias ! appela la Teuse. Vite ! la soupe est servie.

C’était une soupe aux choux, dont la vapeur forte emplissait la salle à manger du presbytère. Le Frère s’assit, vidant lentement l’énorme assiette que la Teuse venait de poser devant lui. Il mangeait beaucoup, avec un gloussement du gosier qui laissait entendre la nourriture tomber dans l’estomac. Les yeux sur la cuiller, il ne soufflait mot.

— Ma soupe n’est donc pas bonne, monsieur le curé ? demanda la vieille servante. Vous êtes là, à chipoter dans votre assiette.

— Je n’ai guère faim, ma bonne Teuse, répondit le prêtre en souriant.

— Pardi ! ce n’est pas étonnant, quand on fait les cent dix-neuf coups !… Vous auriez faim, si vous n’aviez pas déjeuné à deux heures passées.

Frère Archangias, après avoir versé dans sa cuiller les quelques gouttes de bouillon restées au fond de son assiette, dit posément :

— Il faut être régulier dans ses repas, monsieur le curé.

Cependant, Désirée, qui avait, elle aussi, mangé sa soupe, sérieusement, sans ouvrir les lèvres, venait de se lever pour suivre la Teuse à la cuisine. Le Frère, resté seul avec l’abbé