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Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/83

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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

Mouret, se taillait de longues bouchées de pain, qu’il avalait, tout en attendant le plat.

— Alors, vous avez fait une grande tournée ? demanda-t-il.

Le prêtre n’eut pas le temps de répondre. Un bruit de pas, d’exclamations, de rires sonores, s’éleva au bout du corridor, du côté de la cour. Il y eut comme une courte dispute. Une voix de flûte qui troubla l’abbé, se fâchait, parlant vite, se perdant au milieu d’une bouffée de gaieté.

— Qu’est-ce donc ? dit-il en quittant sa chaise.

Désirée rentra d’un bond. Elle cachait quelque chose sous sa jupe retroussée. Elle répétait vivement :

— Est-elle drôle ! Elle n’a pas voulu venir. Je la tenais par sa robe ; mais elle est joliment forte, elle m’a échappé.

— De qui parle-t-elle ? interrogea la Teuse, qui accourait de la cuisine, apportant un plat de pommes de terre, sur lequel s’allongeait un morceau de lard.

La jeune fille s’était assise. Avec des précautions infinies, elle tira de dessous sa jupe un nid de merles, où dormaient trois petits. Elle le posa sur son assiette. Dès que les petits aperçurent la lumière, ils allongèrent des cous frêles, ouvrant leurs becs saignants, demandant à manger. Désirée tapa des mains, charmée, prise d’une émotion extraordinaire, en face de ces bêtes qu’elle ne connaissait pas.

— C’est cette fille du Paradou ! s’écria l’abbé, se souvenant brusquement.

La Teuse s’était approchée de la fenêtre.

— C’est vrai, dit-elle. J’aurais dû la reconnaître à sa voix de cigale… Ah ! la bohémienne ! Tenez, elle est restée là-bas, à nous espionner.

L’abbé Mouret s’avança. Il crut voir, en effet, derrière un genévrier, la jupe orange d’Albine. Mais Frère Archangias se haussa violemment derrière lui, allongeant le poing, branlant sa tête rude, tonnant :