Page:Zola - La Faute de l'abbé Mouret.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LES ROUGON-MACQUART.

bas, dans un gazouillis à elle, qu’ils semblaient comprendre.

— On dit ce qu’on fait, quand on n’a rien à cacher ! cria brusquement la Teuse.

Et le silence recommença. Ce qui exaspérait la vieille servante, c’était le mystère que le prêtre semblait lui avoir fait de sa visite au Paradou. Elle se regardait comme une femme indignement trompée. Sa curiosité saignait. Elle se promena autour de la table, ne regardant pas l’abbé, ne s’adressant à personne, se soulageant toute seule.

— Pardi, voilà pourquoi on mange si tard !… On s’en va sans rien dire courir la prétentaine, jusqu’à des deux heures de l’après-midi. On entre dans des maisons si mal famées, qu’on n’ose pas même ensuite raconter ce qu’on a fait. Alors, on ment, on trahit tout le monde…

— Mais, interrompit doucement l’abbé Mouret, qui s’efforçait de manger, pour ne pas fâcher la Teuse davantage, personne ne m’a demandé si j’étais allé au Paradou, je n’ai pas eu à répondre.

La Teuse continua, comme si elle n’avait pas entendu :

— On abîme sa soutane dans la poussière, on revient fait comme un voleur. Et, si une bonne personne s’intéressant à vous, vous questionne pour votre bien, on la bouscule, on la traite en femme de rien qui n’a pas votre confiance. On se cache comme un sournois, on préférerait crever que de laisser échapper un mot, on n’a pas même l’attention d’égayer son chez soi en disant ce qu’on a vu.

Elle se tourna vers le prêtre, le regarda en face.

— Oui, c’est pour vous, tout ça… Vous êtes un cachottier, vous êtes un méchant homme !

Et elle se mit à pleurer. Il fallut que l’abbé la consolât.

— Monsieur Caffin me disait tout, cria-t-elle encore.

Mais elle se calmait. Frère Archangias achevait un gros morceau de fromage, sans paraître le moins du monde dérangé par cette scène. Selon lui, l’abbé Mouret avait besoin