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LA FAUTE DE L’ABBÉ MOURET.

— Ne mentez pas, monsieur le curé, bégaya-t-elle ; ne mentez pas, ça augmenterait encore votre péché… Comment osez-vous dire que je ne vous ai pas parlé du Philosophe, de ce païen qui est le scandale de toute la contrée ! La vérité est que vous ne m’écoutez jamais, quand je cause. Ça vous entre par une oreille, ça sort par l’autre… Ah ! si vous m’écoutiez, vous vous éviteriez bien des regrets !

— Je vous ai dit aussi un mot de ces abominations, affirma le Frère.

L’abbé Mouret eut un léger haussement d’épaules.

— Enfin, je ne me suis plus souvenu, reprit-il. C’est au Paradou seulement que j’ai cru me rappeler certaines histoires… D’ailleurs, je me serais rendu quand même auprès de ce malheureux, que je croyais en danger de mort.

Frère Archangias, la bouche pleine, donna un violent coup de couteau sur la table, criant :

— Jeanbernat est un chien. Il doit crever comme un chien.

Puis, voyant le prêtre protester de la tête, lui coupant la parole :

— Non, non, il n’y a pas de Dieu pour lui, pas de pénitence, pas de miséricorde… Il vaudrait mieux jeter l’hostie aux cochons que de la porter à ce gredin.

Il reprit des pommes de terre, les coudes sur la table, le menton dans son assiette, mâchant d’une façon furibonde. La Teuse, les lèvres pincées, toute blanche de colère, se contenta de dire sèchement :

— Laissez, monsieur le curé n’en veut faire qu’à sa tête, monsieur le curé a des secrets pour nous, maintenant.

Un gros silence régna. Pendant un instant, on n’entendit que le bruit des mâchoires du Frère, accompagné de l’étrange ronflement de son gosier. Désirée, entourant de ses bras nus le nid de merles resté sur son assiette, la face penchée, souriant aux petits, leur parlait longuement, tout