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Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/130

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sique pleine de douceur, le berçait du rêve de ces bœufs qui tirent la charrue et qui ruminent le soir, dans de la paille fraîche. Il buvait tout le charme de la monotonie. Son plaisir était parfois, après son dîner, de descendre la rue Beau-Soleil et de s’asseoir sur le pont, pour attendre neuf heures. Il laissait pendre ses jambes au-dessus de l’eau, il regardait passer continuellement sous lui le Chanteclair, avec le bruit pur de ses flots d’argent. Des saules, le long des deux rives, penchaient leurs têtes pâles, enfonçaient leurs images. Au ciel, tombait la cendre fine du crépuscule. Et il restait, dans ce grand calme, charmé, songeant confusément que le Chanteclair devait être heureux comme lui, à rouler toujours sur les mêmes herbes, au milieu d’un si beau silence. Quand les étoiles brillaient, il rentrait se coucher, avec de la fraîcheur plein la poitrine.

D’ailleurs, Julien se donnait d’autres plaisirs. Les jours de congé, il partait à pied, tout seul, heureux d’aller très loin et de revenir rompu de fatigue. Il s’était aussi fait un camarade d’un muet, un ouvrier graveur, au bras duquel il se promenait sur le Mail, pendant des après-midi entières, sans même échanger un signe. D’autres fois, au fond du Café des Voyageurs, il entamait