Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/129

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Grand, fort, osseux, Julien avait de grosses mains qui le gênaient. Il se sentait laid, la tête carrée et comme laissée à l’état d’ébauche, sous le coup de pouce d’un sculpteur trop rude ; et cela le rendait timide, surtout quand il y avait des demoiselles. Une blanchisseuse lui ayant dit en riant qu’il n’était pas si vilain, il en avait gardé un grand trouble. Dehors, les bras ballants, le dos voûté, la tête basse, il faisait de longues enjambées, pour rentrer plus vite dans son ombre. Sa gaucherie lui donnait un effarouchement continu, un besoin maladif de médiocrité et d’obscurité. Il semblait s’être résigné à vieillir de la sorte, sans une camaraderie, sans une amourette, avec ses goûts de moine cloîtré.

Et cette vie ne pesait point à ses larges épaules. Julien, au fond, était très heureux. Il avait une âme calme et transparente. Son existence quotidienne, avec les règles fixes qui la menaient, était faite de sérénité. Le matin, il se rendait à son bureau, recommençait paisiblement la besogne de la veille ; puis, il déjeunait d’un petit pain, et reprenait ses écritures ; puis, il dînait, il se couchait, il dormait. Le lendemain, le soleil ramenait la même journée, cela pendant des semaines, des mois. Ce lent défilé finissait par prendre une mu-