Aller au contenu

Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de notaire était reçu chez les Marsanne, ce qui lui crevait le cœur, non qu’il fût jaloux de cet avorton, mais parce qu’il aurait donné tout son sang pour être une heure à sa place. La mère du jeune homme, Françoise, depuis des années dans la maison, veillait maintenant sur Thérèse, dont elle était la nourrice. Autrefois, la demoiselle noble et le petit paysan avaient grandi ensemble, et il semblait naturel qu’ils eussent conservé quelque chose de leur camaraderie ancienne. Julien n’en souffrait pas moins, quand il rencontrait Colombel dans les rues, les lèvres pincées de son mince sourire. Sa répulsion devint plus grande, le jour où il s’aperçut que l’avorton n’était pas laid de visage, une tête ronde de chat, mais très fine, jolie et diabolique, avec des yeux verts et une légère barbe frisée à son menton douillet. Ah ! s’il l’avait encore tenu dans un coin des remparts, comme il lui aurait fait payer cher le bonheur de voir Thérèse chez elle !

Un an s’écoula. Julien fut très malheureux. Il ne vivait plus que pour Thérèse. Son cœur était dans cet hôtel glacial, en face duquel il se mourait de gaucherie et d’amour. Dès qu’il disposait d’une minute, il venait la passer là, les regards fixés sur le pan de muraille grise, dont il connaissait les moindres taches de mousse. Il avait eu beau, pen-