Page:Zola - Le Capitaine Burle et 5 autres nouvelles.djvu/186

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On ne trouve là ni octroi, ni poste d’aucune sorte. Il pouvait donc passer librement. Mais le brusque élargissement de la campagne le terrifia, au sortir de l’étroite rue Beau-Soleil. La campagne était toute bleue, d’un bleu très doux ; une haleine fraîche soufflait ; et il lui sembla qu’une foule immense l’attendait et lui envoyait son souffle au visage. On le voyait, un cri formidable allait s’élever et le clouer sur place.

Cependant, le pont était là. Il distinguait la route blanche, les deux parapets, bas et gris comme des bancs de granit ; il entendait la petite musique cristalline du Chanteclair, dans les hautes herbes. Alors, il se hasarda, il marcha courbé, évitant les espaces libres, craignant d’être aperçu des mille témoins muets qu’il sentait autour de lui. Le passage le plus effrayant était le pont lui-même, sur lequel il se trouverait à découvert, en face de toute la ville, bâtie en amphithéâtre. Et il voulait aller au bout du pont, à l’endroit où il s’asseyait d’habitude, les jambes pendantes, pour respirer la fraîcheur des belles soirées. Le Chanteclair avait, dans un grand trou, une nappe dormante et noire, creusée de petites fossettes rapides par la tempête intérieure d’un violent tourbillon. Que de fois il s’était amusé à lancer des pierres